Qu'a-t-on vu le plus changer au travail dans ces 20 dernières années ?

20 ans, c’est court, c’est long, selon le vécu de chacun. Personnellement, je ne les ai pas vu passer, mais plus je croise dans les formations, des participant(e)s, aujourd’hui manageuses et managers et pour beaucoup mères ou pères de famille, alors qu’ils et elles étaient encore au collège il y a vingt ans, je me dis que ça fait quand même un bail.
Et en vingt ans, les choses ont changé. Nous avons accompagné ces changements mais qu’ils aient été anticipés ou subis, certains d’entre eux ont clairement modifié la vie des entreprises.
Pour cette avant dernière news (nous bouclerons en décembre par une 100ème et dernière édition qui devrait devenir collector), l’idée me vient donc de revenir sur quelques-unes de ces évolutions, en tous cas les plus marquantes pour moi :
- Le temps de travail :
Qui se souvient encore qu’avant 2000 (et depuis 1936), l’horaire hebdomadaire de travail était le même pour tout le monde, de 40 puis de 39 heures, mais avec une très faible marge de manœuvre (et donc de négociation) sur toute forme d’aménagement à la rencontre des compromis entre les besoins d’organisation du travail et les aspirations nouvelles d’équilibre de vie des salariés ?
Les 35 heures, trop souvent vilipendées au-delà de ce qu’elles méritaient, ont peut-être causé des soucis à certaines entreprises sous l’angle de la réduction (à salaire maintenu) du temps de travail, mais il faut leur rendre qu’elles ont été et restent la première grande loi sur l’aménagement du temps de travail, et aucune entreprise ne souhaiterait aujourd’hui le retour en arrière à un horaire légal impératif et uniforme. Des accords ou leur mise en œuvre ont pu ouvrir quelques incohérences ici ou là dans l’équilibre recherché, dans la mise en œuvre des horaires et plages variables, des compteurs de modulation, du nombre de jours non travaillés ou encore sur l’affectation au régime forfait jours de fonctions qui ne le justifiaient pas. Mais ces lacunes et travers sont le plus souvent davantage imputables aux négociateurs qu’au législateur, dont la caisse à outil mise à disposition permettait largement d’élaborer les compromis entre les besoins de l’entreprise et les aspirations nouvelles des salariés.
- Les nouvelles technologies de l’information et de la communication
J’ai toujours un peu de mal à juger de ces évolutions, au regard des dérives auxquelles elles ont conduit et qui perdurent dans le monde du travail, mais finalement plutôt à l’image de ce qu’elles produisent dans la vie civile.
Parce que formidable source potentielle d’émancipation, ces outils peuvent aussi, dans une sorte de soumission volontaire, devenir des outils d’aliénation au travail et de perte de repère dans les différents temps et espaces de vie dont la distinction reste pourtant à préserver. Mais ne jetons pas les outils, dont on n’imaginerait plus pouvoir se passer, avec l’eau du bain : le développement de la micro-informatique, du Net, des mails et des smartphones (qui ont, c’est vrai, un peu plus de 20 ans, mais se sont quand même surtout généralisés depuis) ont été et restent de formidables outils de libération du temps et de l’espace. Ils restent à ne pas en faire des fils à la patte permanent et en garder le contrôle et la maîtrise pour qu’ils restent bien les outils sans devenir les maîtres. Ce challenge sera renforcé par la généralisation de l’IA et son incroyable potentiel au service du travail, dans la même condition de réussite que les outils qui ont précédé, à savoir une vraie réflexion en amont sur : qui est au service de qui ?
- Le dialogue social
Dans ce domaine, les évolutions législatives (loi de 2008 sur la représentativité syndicale ou la substitution en 2017 du CSE aux institutions représentatives du personnel historiques) n’ont finalement été qu’un détail au regard d’évolutions plus profondes.
Ces évolutions ont correspondu à deux phénomènes dominants, évidemment pour partie liés : Le premier a été la fin, dans beaucoup d’entreprises, d’une culture de luttes et de contestation portée par les syndicats historiques, et qui mobilisait beaucoup les employeurs dans une logique défensive. Le départ à la retraite de grognards de la lutte a probablement joué un rôle, mais qu’ils n’aient pas été remplacés résulte probablement davantage d’un désengagement des nouvelles générations que d’un constat partagé de la fin des divergences.
Mais si nous même nous réjouissions d’une évolution susceptible d’aller vers un dialogue plus mature et plus constructif, sans compromission mais avec lucidité sur les enjeux, les nouvelles règles (2008, 2017) n’ouvrant pas en tant que telle une ère nouvelle mais ne l’empêchant pas non plus, nous sommes plutôt restés sur notre faim. Le dialogue social, organisé et canalisé (sinon ce n’est plus du dialogue social), que ce soit via les OS désormais issues du vote ou des CSE, est globalement devenu plutôt mou du genou. Notre sentiment est que les employeurs qui se réjouissent de cette atonie ont tort et devraient plutôt déjà s’inquiéter des signaux qui préfigurent une expression sociale en mode gilet jaune. Si l’avenir du dialogue social, c’est le retour de la merguez, mais version végan et sur barbecue électrique, ce sera toujours une évolution mais nous restons convaincus qu’il était possible de faire mieux.
Yves Pinaud - Octobre 2023