Le coaching pour (se) préserver (de) l'organisation

Le coaching, dont l’origine s’ancrerait dans la maïeutique de Socrate qui visait à « éveiller et accoucher les âmes du savoir préformé qu’elles portent en elles », a pénétré la plupart des domaines de la vie personnelle et professionnelle avec pour ambition « d’aider les personnes à trouver leurs propres solutions ».
Quand il est « de vie », il répond à des enjeux de bien-être général ou du quotidien, par exemple les émotions, la confiance et l’estime de soi, les relations sociales, la parentalité, la nutrition.
Quand il est « sportif », il propose un accompagnement dans la recherche, par exemple de performances, de résultats physiques.
Quand il est « scolaire », il s’attache, mieux que le soutien bien sûr, à développer des « compétences transverses »
Mais il est considéré que le coaching s’est d’abord implanté dans la sphère professionnelle et ce depuis la fin des années 80.
Il s’y est progressivement développé et a connu une croissance soutenue depuis 10 ans jusqu’à représenter 100 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020. Les grandes entreprises, mais aussi les PME et les organisations publiques y ont de plus en plus recours, consacrant 30 % à 40 % de leur budget formation aux interventions de coaching professionnel.
Selon la définition qu’en donne la Société Française de Coaching le coaching est « l’accompagnement des personnes ou des équipes pour le développement de leurs potentiels et savoir-faire dans le cadre d’objectifs professionnels ».
Aussi, et telle qu’elle est présentée, l’offre de coaching d’entreprise s’adresse à tout le monde. Mais dans la réalité il concerne en majorité les dirigeants, les cadres supérieurs, les managers intermédiaires et les hauts potentiels.
Les problématiques auxquelles le coaching affirme être en mesure d’apporter des réponses efficaces sont diversifiées.
Notamment et sans viser l’exhaustivité : l’accompagnement à la prise de poste ; l’amélioration des pratiques managériales des cadres ; le renforcement des capacités à gérer la multiplicité des tâches et des urgences ; la maîtrise de la complexité des projets transverses, au long court ; le soutien des managers de haut niveau dans l’exercice de leurs responsabilités ; l’aide aux managers confrontés à des situations de stress, de fatigue professionnelle, voire de burn-out ...
Le point commun à ces problématiques et à la manière dont les interventions de coaching sont menées est d’aider les salarié(e)s concerné(e)s à maîtriser les difficultés auxquelles ils/elles sont ou pourraient être confrontés(e).
Il s’agit d’une approche centrée sur l’individu, dont l’objectif est de révéler et consolider ses talents, ses ressources, ses savoir-faire. Une approche dont le cadre conceptuel revendiqué par les professionnels du coaching trouve ses fondements dans la « programmation neurolinguistique » (PNL).
Le coaching entend élargir son périmètre d’intervention sur l’accompagnement des changements menés par les entreprises, quel qu’en soit le type – organisationnel et technique mais aussi managérial ou culturel
Il nous paraît assez solidement établi qu’un changement d’organisation, quand il touche les activités, la répartition de ces activités au sein des entités de l'entreprise (organigramme), les process et les outils, crée objectivement de nouvelles conditions de réalisation du travail. L’organisation est un objet en soi – un système de travail prescrit – qu’il s’agit d’examiner comme tel pour comprendre de quelle manière elle impacte le travail et les salarié(e)s quand on lui imprime des changements.
Mais, et c’est l’approche défendue dans un article de la Revue Européenne de Coaching, l’organisation n’a pas d’existence propre : « Ce sont bien des individus qui font l’essence et le sens d’une organisation. Ainsi, lorsqu’un changement survient au sein de celle-ci, il concerne avant tout des personnes, avec leur unicité et leur particularité »
Et l’article de conclure, comme credo des logiques d’action du coaching : « Changer une organisation, quel qu’en soit le but, revient donc à faire changer des êtres humains ».
Le coaching revendique depuis peu une place dans la prévention des RPS, ce qui paraît crédible s’agissant de soutenir les salarié(e)s confrontés à des facteurs de tension.
Les arguments développés pour légitimer cette place partent de constats que ne renieraient ni l’ANACT, ni l’INRS.
- Premier constat : « les risques psychosociaux correspondent aux facteurs organisationnels, relationnels et managériaux pouvant influencer négativement la santé psychologique des membres d’une organisation »
- Second constat : les dispositions psychiques personnelles des salarié(e)s influencent fortement la capacité à faire face aux facteurs de tension mais il est désormais avéré que même « les individus « sains », placés dans un environnement de travail stressant, développent des problématiques de santé psychologique »
- Troisième constat résultant des deux précédents, les approches centrées sur les individus sont nécessaires pour réduire les conséquences des facteurs de tension (les troubles psychosociaux) mais elles ne modifient pas les causes organisationnelles et managériales.
En logique et selon cette argumentation, les interventions de coaching se situent sur le terrain de prévention secondaire des RPS : « aider les individus à prendre du recul et retrouver de la marge de manœuvre sur leurs situations de travail ».
Mais les promoteurs du coaching entendent défendre une place sur les trois registres de la prévention, dont la prévention primaire. Ils soutiennent que, comme levier de limitation des facteurs de risque, le coaching est « un outil puissant pour éviter que ne se développent des relations et des comportements managériaux toxiques ».
Une vision pour le moins réductrice où le principal, voire le seul facteur de risque pour les salarié(e)s, serait les comportements toxiques des managers.
Le propos de cet article n’est pas de dénier l’efficacité et l’utilité du coaching d’entreprise s’agissant de soutenir les salarié(e)s dans les situations professionnelles qui sont les leurs. Si nous prenons comme tels les résultats des études menées par l’ICF (International Coach Federation), le coaching aurait permis à 80 % des répondants d’améliorer leur confiance en eux, à 73 % d’entre eux d’améliorer leurs relations interpersonnelles et à 72 % d’entre eux de développer de nouvelles compétences en communication.
Nous avons voulu signaler les limites des prétentions du coaching à revendiquer une efficacité dans les problématiques d’organisation du travail, qu’il s’agisse d’accompagnement du changement ou de prévention primaire des RPS. Des prétentions qui passent par une conception largement erronée de l’organisation réduite à un ensemble d’individus.
Nous voulons aussi attirer l’attention sur la logique que pourrait porter le recours croissant au coaching par les entreprises. Il atteste sans nul doute de la volonté des directions de soutenir les salarié(e)s, en majorité l’encadrement rappelons-le, dans l’exercice difficile de leurs responsabilités et ainsi de préserver leur bien-être.
Mais le recours au coaching pourrait aussi relever d’une conception dans laquelle les choix d’organisation et de management ont un caractère inéluctable et sont rationnellement indiscutables. Une conception dans laquelle les cadres ont pour rôle et responsabilités de les faire fonctionner « malgré tout », en résolvant eux-mêmes les situations de tension engendrées par les exigences et les failles de ces choix.
Dans cette conception le coaching serait l’instrument qui préserverait les cadres des effets nocifs de l’organisation et qui, tout autant, préserverait l’organisation des critiques et remises en cause que les cadres pourraient exprimer, ouvertement ou en se désengageant.
Jean Louis Pépin - Octobre 2023