La retraite des réformes

Ce petit billet d’humeur n’entend pas prendre position sur la réforme en cours concernant les retraites et les débats, si on peut appeler ça des débats, qui l’entourent. C’est non seulement un dossier complexe mais c’est surtout un sujet sociétal, éminemment politique, sur lequel nous n’avons pas vocation à nos positionner et encore moins tenter de s’ériger en leaders d’opinion.
L’idée est plutôt, au regard de notre champs de compétences, d’en faire le parallèle avec la manière dont le jeu social et les acteurs s’organisent, sur un enjeu de cette nature et sur les enjeux, pas moins importants à leur niveau, du dialogue social dans les entreprises.
Qui aujourd’hui, en tout cas parmi les nombreux protagonistes qui s’expriment fermement (qu’ils soient vent debout contre le projet ou qu’ils en soient d’ardents défenseurs) voire descendent dans la rue, ont réellement la maîtrise du pourquoi et du comment du système en place pour en pointer les voies de progrès, intégrant les éléments de contexte et soit poser des objectifs nouveaux soit proposer les modalités les plus pertinentes pour assurer la pérennité des objectifs existants ?
Un grand philosophe, Franck Zappa, qui composait occasionnellement un peu de musique en parallèle, disait en parlant de sa posture en matière de recherche musicale, quelque chose dont j’ai toujours trouvé que cela pouvait s’appliquer dans bien d’autres domaines : « Sans transgression de la norme, il n'y a pas de progrès possible. Mais avant de chercher à transgresser efficacement, on doit au moins s'être familiarisé avec la règle, avec la norme dont on veut s'écarter ».
Ce qui se joue sur les retraites ressemble fortement à ce qui se joue dans beaucoup d’entreprises, en particulier dans le fonctionnement des CSE et leur posture, de part et d’autre, sur l’appropriation des projets et l’accompagnement du changement. On le voit, entre autres, sur les évolutions d’organisations autour de l’aménagement et du temps de travail (dont les aménagements en plateau ou postes de travail nomades ou bien sûr le télétravail).
Je pense qu’il y a trois grandes postures qui, lorsqu’elles prévalent ou en tout cas pèsent fortement, nuisent à tout objectif sur l’efficience des compromis recherchés :
- La première est le rejet du changement, beaucoup moins pas la « peur » qu’on évoque le plus souvent que par la méfiance vis-à-vis de ceux qui l’impulsent et de leurs motivations non avouables et donc cachées. L’État et ses gouvernements, de quelque bord qu’ils soient, ne se lèvent le matin, c’est désormais une évidence, que pour gruger le peuple et la démocratie consiste à ce qu’une opposition ait pour quasiment seule rôle que de le rappeler sur chaque projet. Les patrons et leurs relais RH, c’est bien connu, font la même chose dans les entreprises et certains défenseurs des salariés, à qui on ne la fait pas, on comprit que leur seule mission et de s’ériger en opposition de principe.
- La seconde, mais qui est en lien avec la première, est cette idée qu’un statut vaut compétence et que légalité d’un poste ou d’un mandat vaut légitimité de ce que pense et de ce que je dis : Je suis patron, DRH, délégué syndical ou membre désigné de la CSSCT : pourquoi avoir besoin d’argumenter, encore moins de démontrer voire même d’accepter la contradiction, alors que mon expertise sur la question est un corollaire de ma fonction.
- Et la troisième, qu’on retrouve dans les entreprises comme dans les sujets plus sociétaux, c’est la perte de plus en plus grandissante et de plus en plus d’acteurs d’une posture visant un intérêt général, qui n’est que rarement la somme des intérêts catégoriels. Le paroxisme de cette posture pouvant être une focalisation, sur toute question, du seul intérêt final qui détermine mon positionnement et filtre toute approche du sujet : le mien. Ma retraite, comme ma qualité de vie au travail, correspondent aux attendus auxquels le système doit s’adapter, ses contingences éventuelles étant moins ma préoccupation première que ne le sont mes exigences à ce qu’il s’adapte.
Alors évidemment, plutôt que de céder à la tentation de l’adage du « c’était mieux avant », qui n’est d’ailleurs même pas certain, l’idée c’est plutôt de rappeler l’enjeu, plus que jamais, que tout destin collectif relève de la responsabilité de chacun. La condition est que chacun se sente partie prenante de ce collectif et surtout convaincu que son propre destin y gagnera davantage que dans le chacun pour soi.
Yves Pinaud - Mars 2023