Managers, relations sociales et santé sécurité ?

Depuis 30 et quelques années, dans nos actions de conseil comme dans nos formations, nous avons croisé et côtoyé des milliers d’encadrants, dans tous les secteurs d’activité et dans tous les métiers.
Et nous avons toujours constaté et constatons encore une ambiguïté dans leur positionnement, qui se révèle particulièrement dans leur approche des relations sociales comme dans celle de la santé sécurité (et de leur obligation en la matière, en particulier dans la prévention des risques psychosociaux).
Les managers ne font pas partie des détenteurs de l’entreprise. Indépendamment qu’ils puissent en détenir quelques actions, ils en sont d’abord des salariés et c’est en tout cas à ce titre qu’ils en détiennent leur fonction d’encadrant. Et encadrant veut dire, tout en étant et en restant soi-même en situation de subordination de l’employeur, avoir accepté une délégation de pouvoir de ce dernier pour exercer un rôle hiérarchique sur d’autres collègues de travail.
C’est donc forcément un positionnement renvoyant, dans les postures, à des enjeux d’équilibres et des arbitrages parfois complexes. Il faut mériter la confiance accordée en privilégiant l’atteinte des objectifs technico économiques qui sont fixés. Et s’il faut pour cela optimiser la contribution des ressources humaines mises à disposition, il ne faut pour autant pas oublier que l’objet social de l’employeur reste celui de l’employeur, avec ses différences voire divergences d’intérêts avec ceux des salariés, managers compris.
Les employeurs ne s’y trompent pas, qui privilégient plus spontanément dans la formation des managers tout ce qui peut valoriser et développer leur savoir-être, leur leadership, leur capacité à embarquer les équipes vers les objectifs à atteindre. Beaucoup d’entre eux sont moins enclins à leur donner et leur clarifier les cadres de responsabilités qui sont les leurs, en tant que délégataire de l’employeur. Parce que cela pourrait les conduire, notamment dans la fameuse gestion de la « charge/capacités », à des arbitrages plus nuancés entre l’atteinte des objectifs et le souci de maintenir les équilibres entre les intérêts de toutes les parties et en particulier de celle à laquelle ils continuent, quoi qu’ils se racontent, d’appartenir.
On le voit sur les relations sociales et leur faible culture en la matière, comme si, de leur part, s’y intéresser relevait, a minima d’une perte de temps, voire, encore, ici ou là, d’un investissement vécu comme un « passage à l’ennemi » contradictoire et donc source de remise en cause de la confiance accordée. Et il est très majoritairement de meilleur ton, quand on est manager, sinon de pourfendre, en tout cas de conserver ses distances avec tous ces espaces de dialogue et de négociation (et les acteurs qui vont avec et plus encore sur la pertinence de leur mission et l’utilité du temps qu’ils doivent y consacrer). Il n’y a qu’en période de crise, de rupture ou de changements profonds et brutaux que des managers reprennent conscience que s’ils étaient bien des relais opérationnels des patrons, ils n’en étaient pas eux-mêmes et que leur propre intérêt n’a pas davantage pesé dans les décisions prises que celui de leurs autres collègues subordonnés.
De même pour la santé sécurité et notamment la prévention des RPS : quels que soit les comportements de bienveillance et de vigilance et quelle que soit la prise de conscience des responsabilités en la matière, continue de prédominer pour une grande majorité d’encadrants l’idée qu’au bout du bout, dans les arbitrages qui seront à faire, la primauté de l’économique et ses contraintes et enjeux seront incontournables et justifiés.
Loin de nous l’idée qu’il n’est pas indispensable pour l’entreprise que les managers se sentent investis d’une responsabilité dans la réussite commune : celle qui satisfait les attentes de l’actionnaire et qui par ailleurs garantie la pérennité de l’entreprise et donc des emplois.
Mais il y a peut-être, voire surtout dans cette période de désenchantement qui n’épargne pas les cadres, à repositionner leur mission, sans naïveté ni schizophrénie. Sans naïveté, c’est-à-dire sans l’idée que leur vocation puisse être de « marquer des buts contre leur camp », en oubliant ce qui nourrit leur parcours et ses évolutions attendues par une plus grande réticence à répondre aux objectifs fixés. Mais sans schizophrénie, en restant et en assumant de rester des salariés dont la volonté de prise de responsabilité et de contribution à la réussite de l’entreprise ne doit pas les rendre aveugles et sourds aux équilibres nécessaires. Cela suppose de leur reconnaître un vrai droit à l’assertivité, sur leur propre hiérarchie et sur leur direction, et ce justement au titre des responsabilités qui relèvent de leur statut et qu’on sait régulièrement leur rappeler.
Yves Pinaud - Octobre 2022