Harcèlement en entreprise : quelques illustrations et un point sur les obligations d'enquêter s'imposant à l'employeur 
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Lorsqu’une alerte harcèlement est lancée en entreprise, qu’elle provienne des victimes, des services RH, des référents harcèlement ou du CSE, l’employeur est tenu d’agir en vertu de sa responsabilité de protection de la santé et la sécurité des salariés.

Pour cela le premier souci est de connaitre les faits le plus exactement possible d’où l’importance d’une enquête sur laquelle de nombreuses questions se posent.

Nous débuterons par quelques illustrations sur ce qui peut être considéré comme du harcèlement sexuel ou moral, puis nous verrons ce que dit la jurisprudence sur la nécessité et les modalités de réalisation de l’enquête.

 

 1/ Harcèlement ou pas ?

         1.1/ Harcèlement sexuel

La définition donnée par l’article L1153-1 du Code du travail vise : « des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

Cette définition a été modifiée plusieurs fois afin d’inclure des faits qui, malgré leur gravité, risquait de lui échapper, sont donc désormais inclus dans la définition légale :

  • Les « mobbing » sexuels, concertés ou non,
  • Le chantage sexuel même en l’absence de répétition,
  • Les propos ou comportements sexistes répétés, ce qui permet d’inclure des éléments sans connotation sexuelle tels que « les femmes sont bavardes» ou « les hommes sont mono-taches».  

Quelques précisions jurisprudentielles :

  • Le fait que la salariée soit clairement rentrée dans le jeu de séduction implique que le harcèlement n’est pas constitué et donc que la faute grave du manager ne l’est pas non plus mais, la cause réelle et sérieuse de son licenciement pour perte d’autorité l’est. (Cour de cassation 25 septembre 2019, n°17-31171)
  • Une attitude ambiguë de la victime ayant répondu une fois sur la couleur de sa culotte, ne permet pas d’écarter la qualification de harcèlement sexuel (Cour d’appel d’Orléans, ch. sociale ch. des Prud’hommes, 20 février 2020, n° 17/02208)
  • La preuve d’une grande complicité pouvant exister entre la victime et sonsupérieur hiérarchique mis en cause, n'autorise pas à considérer que l’envoi de mails pornographiques, et le fait de lui « piquer les fesses », puissent être considérés comme de simples marques de familiarités autorisées par cette complicité. (CA Paris 18-5-2011 n° 09/07491, ch. 6-9, C. ép. R. c/ SAS Kuwait Petroleum Aviation France)
  • Des gestes « d'amitié » constitués de massages des épaules, bises, tapes sur les cuisses, etc., de la part de l'employeur à l'égard d'une salariée, même non accompagnés de proposition explicite de nature sexuelle, pouvant, compte tenu de leur ambiguïté, entraîner de l'angoisse chez l'intéressée sont constitutifs du délit. (CA Chambéry 18-1-2000 n° 97-1955, ch. soc., X. c/ Y. : RJS 4/00 n° 371)

 

         1.2/ Harcèlement moral

C’est l’article L1152-1 du code du travail qui définit ce délit comme constitué « d’agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Large définition, qui a effrayé nombre de managers se demandant si tout reproche exprimé ou toute expression répétée d’exigence, ne risquait pas de les exposer à une accusation de harcèlement.

On peut comprendre cette inquiétude considérant la rédaction très large du législateur. Mais il faut admettre que cette amplitude est nécessaire du fait de la nature même de la notion de harcèlement qui devait permettre de viser des comportements par définition pernicieux.

Les règles de preuve adoptées par la jurisprudence, puis reprises par la Loi, permettent cependant de répondre à cette inquiétude :

  • La répétition d’exigences légitimes ne peut, à elle seule, constituer le délit de harcèlement comme le précise l’article L1154-1 « Il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. » 

La jurisprudence a également fait son travail en précisant notamment que :

  • Il ne peut suffire d’invoquer le harcèlement. Si le plaignant n’a pas à supporter la totalité de la charge de la preuve, il doit cependant apporter des éléments de faits. Ces éléments doivent être matériellement établis. (Cas. Soc 30 septembre 2014 13-16436)
  • En absence de tels éléments concrets, des certificats médicaux invoquant « un état dépressif sévère réactionnel à un conflit professionnel aigu» ne suffisent pas à établir le harcèlement.
  • Tout conflit interpersonnel n’est pas constitutif de harcèlement. (Cour d’Appel de Paris 15/09/2010)

 

2/ L’enquête 

         2.1/ Une enquête est-elle obligatoire ?

L’obligation de prévention des risques professionnels, incombant à l’employeur, l’oblige à organiser une enquête. Ne pas le faire ne fera pas de lui nécessairement le complice ou le co-auteur du délit supposé mais constituera un non-respect de son obligation de prévention, qui est en lui-même source de préjudice pour la victime, même si le harcèlement n’est pas établi, car l’obligation de prévention existe indépendamment de l’existence du harcèlement (Cass. Soc. 27 novembre 2019 n° 18-10551).

 

         2.2/ Comment réaliser l’enquête ?

2.2.1/ Peut-on faire réaliser l’enquête par le DRH, ou un supérieur hiérarchique ?

  • L’enquête est recevable lorsqu’elle est confiée par l’employeur à la direction des ressources humaines plutôt qu’au CSE (Cass. Soc. 1er juin 2022, n° 20-22058) ;
  • Les preuves recueillies sont recevables alors même que l’enquête a été conduite auprès d’une partie seulement du personnel (même décision Cass. Soc. 1er juin 2022, n° 20-22058) ;
  • Par contre, elle ne l’est pas si elle a été confiée au supérieur hiérarchique du salarié alors que leur mésentente est connue (Cass. Soc. 6 juillet 2022, n° 21-13631).

 

2.2.2/ Peut-on faire réaliser l’enquête par un organisme extérieur ?

L’employeur peut confier l’enquête à un organisme extérieur et utiliser le rapport établi pour prendre des mesures disciplinaires (Cass. Soc. 17 mars 2021 n° 18-25597).

 

2.2.3/ Faut-il informer le CSE ?

C’est certainement souhaitable mais si ce n’a pas été le cas, ça ne suffit pas à compromettre la recevabilité en justice de l’enquête. (Cass. Soc. 29 juin 2022, n° 21-11437)

 

2.2.4/ Faut-il entendre tout le monde ?

Même en cas d’enquête interne incomplète, le rapport d’enquête reste un élément de preuve recevable qui doit être pris en considération par les juges sans pouvoir être écarté par principe des débats au motif d’absence d’exhaustivité et d’impartialité (Cass. Soc. 8 janvier 2020 n° 18-20151. (Cass. Soc. 29 juin 2022, n° 21-11437) 

 

2.2.6/ Le salarié mis en cause peut-il exiger communication du rapport ?

Les droits de la défense ne sont pas altérés au motif que le salarié mis en cause n’a pas pu avoir accès au rapport, ni été confronté aux collègues qui l’accusent. L’employeur n’a pas d’obligation de répondre à des demandes en ce sens du mis en cause (Cass. Soc. 29 juin 2022 n° 20-22220).

 

2.2.7/ Les témoignages peuvent-ils rester anonymes ?

Les salariés témoins, bien que protégés par la Loi, sont souvent réticents à ce que leur témoignage soit nominatif, par crainte de passer pour un délateur, d’incertitude sur les suites, etc.

Mais les juges ne l’entendent pas ainsi, les droits de la défense du mis en cause ne sont pas respectés par le juge si sa décision se fonde de manière déterminante sur des témoignages anonymes recueillis par la direction (Cass. Soc. 4 juillet 2018, n° 17-18241). Le rapport d’enquête doit donc mentionner les noms et qualités des témoins.

Gilles Karpman - Octobre 2022