Mieux d'Europe ou moins d'Europe
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Je voudrais évoquer la question européenne, sous l’angle du social et des entreprises, par le biais d’une expérience personnelle. En tant que DRH d’un groupe international, j’ai participé ces dernières années à plusieurs congrès internationaux de directeurs ressources humaines.

J’ai côtoyé des anglo-saxons, des asiatiques, quelques moyen-orientaux, lors de discussions passionnantes. Et chaque fois, un petit noyau d’européens. Comme nous étions, ensemble, différents des autres !

On découvre que nos systèmes sociaux, nos modes de concertation sociale, ont une grande proximité. Il y a certes des différences : plus de syndicats et de négociation dans les pays du Nord, mais un dispositif fortement encadré de représentation en France et en Espagne : dans tous les cas, une place réelle, beaucoup plus importante qu’ailleurs, à la représentation sociale. Il y a aussi une mutualisation des garanties sociales qui est quasi unique. Enfin, la gestion de la crise du covid a elle aussi été globalement analogue : le « quoi qu’il en coûte » a été largement pratiqué, et là aussi, à la grande différence de ce qu’on fait les USA et la Grande Bretagne, par exemple.

On peut bien sûr trouver tout cela insuffisant, (ou au contraire excessif, contraignant, comme on voudra), mais il faut vraiment prendre plus nettement conscience d’un état de fait. 

En tant qu’européens, nous sommes donc sur le plan social très proches, mais disons-le, assez isolés dans le monde. Ce qui pour nous est assez évident (protection sociale, droits collectifs des travailleurs, etc) est finalement très minoritaire sur Terre, et donc relativement fragile, dans des économies ouvertes. Affaiblir notre communauté, ce serait rapidement affaiblir les systèmes sociaux et les mécanismes protecteurs dans chacun de nos pays. Il serait en effet bien difficile de maintenir tout seuls ces mécanismes protecteurs dans le vaste monde.

Or, à l’issue de l’élection présidentielle et dans la perspective des législatives, je suis frappé par le fait qu’un grand nombre de partis affichent un vrai recul par rapport à l’Europe, et laissent entendre que, s’agissant de l’intérêt des entreprises et de leurs salariés, de l’économie et de l’emploi, il y aurait avantage à remettre en cause des traités importants, au risque de remettre en cause nos alliances et la nature même de l’union.

Du côté du front national, il s’agirait de détricoter l’intégration européenne au bénéfice d’une « Europe des nations ».  Le principe global est d’assurer « la primauté absolue du droit français sur le droit européen » ce qui est la négation de la construction européenne.

Ce recul est très net aussi du côté de la France insoumise, et il se manifeste aussi dans l’accord conclu avec les communistes, les écologistes et les socialistes. Le programme conclu comporte en effet la possibilité de désobéir à des règles économiques ou sociales jugées défavorables. « Il nous faudra dépasser ces blocages et être prêts à désobéir à certaines règles européennes (en particulier économiques et budgétaires comme le pacte de stabilité et de croissance, le droit de la concurrence, les orientations productivistes et néolibérales de la PAC, etc.) ».

C’est très large. Les dirigeants de ces partis disent que ce n’est pas grave, que d’autres pays prennent des libertés. Mais afficher d’emblée, comme élément d’un programme, le refus d’appliquer « certaines règles européennes » a une grande signification. L’Europe à la carte comme la veulent la Pologne et la Hongrie, n’est plus si loin. La dynamique d’intégration européenne serait évidemment affaiblie, voire carrément brisée, en raison du rôle particulier de la France. 

Des dirigeants de LR de leur côté ont par ailleurs fustigé le fait qu’Emmanuel Macron soit entré au Champs de Mars au son de l’hymne européen, comme ils ont critiqué il y a quelques semaines la brève introduction du drapeau européen sous l’arc de triomphe, montrant à l’évidence le choix d’une certaine prise de distance, même si le parti n’affiche finalement, malgré des positions internes qui allaient en ce sens, aucune remise en cause de règles européennes. 

On a l’impression que l’Europe est une entité qui nous est extérieure, à laquelle nous pourrions ne plus appartenir ou si c’est possible n’appartenir qu’à moitié, libre à nous. 

Qu’il y aurait à gagner à nous « reprendre en mains », ou à retrouver notre « identité nationale », comme le disent certains. 

On peut bien sûr vouloir changer l’Europe. Plus de protection, moins de libre concurrence, des règles budgétaires moins strictes, un plus grand respect des services publics… Ou moins de cadre réglementaire sur tout et n’importe quoi, que sais-je, les critiques peuvent être nombreuses…

Mais c’est une chose de vouloir se battre en tant qu’européens pour faire changer les choses, que de vouloir seulement se défendre contre l’Europe. Or je vois et j’entends assez peu de volonté de combats européens, surtout des combats nationaux.

L’Europe, c’est, au-delà de ses limites, un ensemble considérable d’avancées collectives. Celles-ci ne sont françaises que parce qu’elles sont aussi européennes. Et s’il faut les faire évoluer, s’efforcer de le faire dans le cadre européen n’est-il pas un meilleur moyen qu’envisager un retrait de ce cadre ?

 Frédéric Périn - Juin 2022