Réhabiliter le vrai sens du principe de consultation
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Instaurée à la Libération avec la mise en place des Comités d’Entreprise, la notion de consultation visait, tel qu’exprimé par le général de Gaulle lui-même, à ce qu’elle permette aux salariés, via leur représentants élus, « de faire valoir leurs intérêts, leurs points de vue, leurs propositions ». Il ne s’agissait pas de remettre en cause le pouvoir de direction de l’employeur, corollaire de la prise de risque, elle-même indissociable de la liberté d’entreprendre. L’ambition était que les attendus de la collectivité de travail puissent être davantage intégrés et pris en compte par l’employeur, sans pour autant instaurer, ni un partage du pouvoir ni encore moins un principe de co-gestion.

On voit donc bien que le statut même de cette notion de « consultation », dès lors que l’employeur est affranchi d’une réelle nécessité d’accord ou de validation de ses décisions, peut le conduire à privilégier le seul respect d’un formalisme juridique, le protégeant du délit que serait de n’avoir pas, ne serait-ce que fait semblant, de prendre en compte un « avis ».

J’ai souvenir, à l’occasion d’un séminaire sur les relations sociales regroupant des acteurs européens, de la remarque de représentants du personnel scandinaves, habitués à d’autres pratiques en matière de dialogue et ironisant sur les règles prévalant dans notre cadre légal : « chez vous, on a le droit d’écraser le piéton, à condition d’avoir klaxonné ».

Ainsi et au regard, à la fois de notre culture de relations sociales et du cadre juridique qui les encadre, l’avis du CSE n’est mesuré qu’à l’aune du vote favorable ou défavorable qui le conclut. Pour avoir accompagné un certain nombre de démarches d’information/consultation, notamment à l’occasion de Plans de Sauvegarde de l’Emploi, j’ai moi-même pris l’habitude d’évoquer avec les élus, au démarrage du processus, que leur avis à venir, sous forme de vote et qu’il soit favorable ou défavorable, ne représentait pas l’enjeu le plus stratégique de la démarche. A une forme de provocation ainsi ressentie par les élus sur le peu de cas que je faisais de leur mission, je complétais immédiatement mon propos : la consultation est essentielle mais elle ne l’est pas au travers du vote sur l’avis qui ne fait que clore la procédure juridique à laquelle est tenu l’employeur. D’ailleurs, ce dernier peut même s’avérer être principalement soucieux d’en arriver à cette étape libératrice.

La véritable consistance de la consultation est ailleurs :  dans la façon dont les échanges auront permis (ou non) d’intégrer des aménagements/améliorations du projet de l’employeur attendus par les salariés.

Cela suppose, dans un préalable qui est loin d’être toujours observé, la volonté de tous les acteurs et les postures qui en découlent, de donner un véritable contenu à la consultation, avec la capacité de travail qui l’accompagne et surtout celle de jouer pleinement son rôle tout en acceptant la légitimité de celui de l’autre.

Mais si la qualité des consultations a pu longtemps être polluée par une posture d’opposition des élus, assez largement cultivée par les organisations syndicales, la réforme du CSE, en parallèle de la perte d’influence des syndicats et de l’engagement des salariés, a abouti dans de nombreux cas à des instances certes moins chahutées, mais en revanche davantage réduites à de simples chambres d’enregistrement et avec toujours aussi peu d’influence sur les projets de l’entreprise.

Cette tendance se nourrit de la confusion, plus ou moins volontaire, notamment de la part des employeurs, entre le devoir d’information, préalable indispensable mais non suffisant, et celui de la consultation elle-même. La profusion et la transparence affichée des informations partagées avec lesquelles les directions « expliquent » ce qu’elles font et pourquoi elles le font, leur permet souvent de valoriser tout le respect qu’elles ont ainsi des prérogatives du CSE, tout en leur permettant de consacrer d’autant moins de temps et d’énergie aux échanges qui pourraient conduire à « discuter » sur le fond des projets. Beaucoup d’élus et notamment les moins expérimentés, s’en contentent eux-mêmes, considérant plutôt la bonne volonté de l’employeur que la perte d’utilité que leur véritable mission devrait leur permettre de jouer.

Les principes en sont pourtant simples : l’employeur, de par ses obligations légales et/ou sa propre volonté, peut informer sur des faits (la situation commerciale ou financière) ou des actions mises en place, y compris antérieurement aux échanges avec le CSE, dès lors qu’elles sont sans impact direct sur les conditions de travail et relèvent bien de l’exercice courant de son pouvoir de direction.

Sur les projets à impact, la consultation, elle, pour avoir le moindre sens, est forcément préalable à la décision et plus encore à la mise en œuvre par l’employeur puisque c’est son objet même : elle doit permettre aux élus « d’éclairer la décision de l’employeur », c’est-à-dire potentiellement de l’infléchir, dans le sens des attendus de la collectivité de travail. Et nombreux sont les projets que j’ai pu suivre, impactant l’organisation et/ou l’aménagement ou la durée du travail et qui auraient gagné, pour toutes les parties et sans remettre en cause le pouvoir de direction de l’employeur, à une meilleure évaluation des impacts, une meilleure écoute des attentes, une meilleure prise en compte des conditions d’acceptabilité et donc de condition de réussite.

Certaines déclinaisons du droit, dont les instigateurs ont manifestement eux-mêmes perdu en route le principe et l’ambition première, concourent à entretenir cette confusion. Par exemple sur la formation lorsque les obligations de consultation concernent, non seulement le plan de l’année à venir, qui peut encore effectivement être (ou pas) amendé, mais aussi celui de l’année écoulée, par définition terminé et qui réduit bien le concept de consultation à l’expression d’une appréciation sur ce qui a été fait. Mais dans les deux cas et pour renforcer la parabole de nos amis scandinaves, on dit bien d’ailleurs que le CSE « rend un avis », sur sollicitation de l’employeur, avec pour principal effet de le priver du pouvoir de prétendre que ce dernier n'a pas klaxonné.

Yves Pinaud - Juin 2023