Un secret pour attirer les talents : ne pas les décourager !

Les entreprises n’en finissent pas de déplorer la difficulté à attirer et à retenir les talents.
On glose sur le fait que le rapport au travail s’est transformé depuis la Covid, avec des candidats beaucoup plus difficiles, exigeants, et des postes ingrats restés sans volontaires.
Un fait cependant devrait nous alerter. Plusieurs patrons de start-up interrogés il y a quelques jours dans une émission radio matinale à l’occasion de la « journée des start-up » ne disaient pas du tout la même chose : ils trouvent des talents, et leurs jeunes recrues travaillent souvent presque sans limites…
Bizarre. Il y aurait peut-être alors d’autres éléments d’explication. Je suis consultant, ancien DRH, et j’accompagne depuis 10 ans des jeunes diplômés de tous secteurs professionnels et de tous milieux sociaux dans la recherche de leur premier emploi.
La première explication que j’avance est la suivante : beaucoup d’entreprises ont encore des comportements au recrutement vexants, décourageants. Les jeunes que j’accompagne ont suivi des formations de qualité, bien ciblées. Ils ont une solide envie de s’investir. Il leur manque les clés pour accéder au marché du travail, clés que je les aide à acquérir.
Or quel que soit le secteur professionnel, presque tous galèrent vraiment pendant de longs mois. Ils doivent faire face aux innombrables courriers sans réponse, entretiens dont on ne leur dit pas la suite, refus d’expliquer les réponses négatives. La première image qu’ils ont de l’entreprise est souvent exécrable
On a l’impression que toutes les personnes chargées de recrutement n’ont pas encore compris que les choses avaient changé. « De toute façon, il y en a 10 derrière la porte ! » : ce genre de réaction, c’est terminé. Les bons candidats ont plus d’opportunités qu’avant, et il faut donc mieux les traiter. Et rapidement si possible. Je me souviens de Nadia, candidate brillante en gestion financière, qui a passé des mois d’entretiens exigeants dans une grande entreprise qu’elle voulait fortement intégrer. Elle a reçu au final une réponse positive, mais … deux mois après qu’elle ait intégré un autre emploi. Non, décidément, certains n’ont pas encore compris.
Une fois recruté quel est leur vécu ? Il y a bien sûr de bonnes surprises, de « bonnes » entreprises, mais combien de fois je revois les jeunes dépités, plus ou moins obligés de quitter un emploi qu’ils apprécient, parce que leur hiérarchie a des comportements impossibles. Ils n’en dorment plus. Je dois leur remonter le moral, et repartir avec eux à l’assaut du marché du travail…
L’accélération des changements et des réorganisations a souvent fait sauter les processus de gestion intelligente des personnes. En particulier, dans beaucoup d’entreprises les process qui avaient été mis en place pour la gestion des parcours et des compétences des cadres.
Ils supposaient une forme de continuité dans la durée et dans l’actionnariat qui souvent a disparu. Quand on réorganise tous les 2 ou 3 ans, pas le temps de finasser sur la gestion des potentiels. Pour les postes importants, on vise plus souvent directement la chasse de tête.
Les repositionnements internes sont appris par les intéressés quelques jours ou quelques semaines avant.
Sur la gestion du changement, des entreprises s’étaient professionnalisées. Avaient intégré des méthodologies, pour que les choses se passent bien. Les nouveaux actionnaires se fichent désormais de tout cela, qui prend du temps. Il faut des décisions rapides, le DG décide. On observe ainsi dans tout un pan du monde du travail une vraie dégradation de la gestion des ressources humaines et la gestion du changement.
Cette dégradation a un coût. Telle filiale ainsi maltraitée d’un grand groupe français a été revendue dernièrement deux ans après avec une décote de 200 millions. Personne n’en sera sanctionné, je pense.
On ne sera pas surpris que cette « ambiance » générale ne favorise pas la qualité du management au quotidien, c’est ce que les jeunes recrues comprennent vite. Le message théorique parle de marque employeur, de potentiel humain. La pratique réelle, c’est souvent une course un peu affolée vers les résultats financiers, avec des managers largement laissés à eux-mêmes.
Il y a une révolution à faire, que certaines entreprises ont faite, alors que d’autres n’y sont pas encore. Elles ont pris du retard, et il est urgent qu’elles bougent. Certaines ont même dégradé leur rapport aux candidats et jeunes salariés, ce qui est fâcheux pour leur attractivité. Mais cette mauvaise image rejaillit aussi sur les grandes entreprises en général. Le coût à terme de cette dégradation pour les entreprises concernées (turnover, postes clé non pourvus), mais aussi pour la société, est très élevé. Il serait temps de réagir, et au-delà des formules faussement consensuelles sur l’attractivité, la marque employeur, etc, de remettre au centre la qualité du management, et le respect des personnes.
Frédéric Perin - Décembre 2022