Réflexion autour du Quiet Quitting ou Démission Silencieuse
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D’abord de quoi parle-t-on ?

De salariés qui revendiquent l’idée de ne pas trop en faire au boulot. Contrairement à ce que semble annoncer l’expression, ils n’envisagent pas de quitter leur emploi, de démissionner, mais de pas TROP en faire.

La définition n’est pas vraiment très stabilisée à entendre ce qu’en disent ceux qui s’en réclament, chacun a un peu sa version.

On peut se demander ce que signifie « ne pas TROP en faire » ? Pour certains cela semble signifier quelque chose comme « je ne serai pas la prochaine victime d’un burn-out ! »

Pour d’autres c’est plus précis, on passe du pourquoi (éviter le burn-out, le sacrifice de sa santé ou de sa vie personnelle) au comment « je m’en tiendrai précisément à ma fiche de poste ».

A partir de ce glissement le « TROP » change de sens. D’un « TROP » qui désignait des effets négatifs sur la vie de la personne, on passe à « pas plus que ce que je suis juridiquement obligé de faire », « seulement ma fiche de poste ».

Je ne peux qu’approuver ceux qui annoncent clairement qu’ils ne se tueront pas (au sens malheureusement parfois propre) au travail. Vouloir préserver sa santé et sa vie personnelle est une saine attitude.

Mais ceux qui pensent que pour cela il faut et suffit de se dissimuler derrière le rempart d’une fiche de poste, brandie devant son manager pour contrer toute demande de sa part, se trompent lourdement, ce qui est leur problème, et trompent les autres, ce qui est plus grave.

Ils se trompent sur tous les plans, juridique, ergonomique et sur celui de la prévention des risques psycho-sociaux.

Rien que cela ? Oui, allons-y :

Sur le plan juridique

« Je ne ferai que ce pourquoi je suis payé, ma fiche de poste et rien de plus. » Erreur grave, le salarié n’est pas payé pour ne faire que ce qui est sur sa fiche de poste mais pour accomplir ce qui est l’objet de son contrat de travail : « obéir aux directives et instructions de l’employeur pour l’exécution d’un travail ». La jurisprudence considère cela comme l’engagement fondamental de tout salarié et lui donne le nom peu agréable à entendre de « lien de subordination », caractéristique essentielle du contrat de travail.

La fiche de poste n’a rien de contractuel ; C’est un document d’organisation interne établi unilatéralement par l’employeur. Ce qui est contractuel c’est la qualification portée au contrat. L’employeur ne peut exiger du salarié l’accomplissement de tâches ne relevant pas de cette qualification, de même qu’il ne peut la changer sans l’accord du salarié.

Mais pour ce qui est de la fiche de poste, qui n’a rien d’obligatoire d’ailleurs, il peut la modifier en tant que détenteur du pouvoir d’organisation de l’entreprise. Il peut également demander, toujours dans le respect de la qualification du salarié, toute tâche non prévue dans une éventuelle fiche de poste.

Brandir une fiche de poste sous le nez de son employeur en prétendant s’y accrocher comme à une bouée de sauvetage ne peut servir à rien.

Sur le plan ergonomique 

Les ergonomes, observateurs précis et attentifs du travail, font une distinction fondamentale entre le travail prescrit et le travail réel. Certains, taquins dans l’âme, aiment embêter les ingénieurs et autres conseils en organisation en rejoutant : « Le travail réel c’est ce que font les gens pour que ça fonctionne malgré l’organisation (le prescrit) ». Ne faire que le prescrit, ça n’existe tout simplement pas et cela pour aucun travail au monde, quel que soit son degré de complexité.

Sur le plan de la prévention des risques psycho-sociaux 

Parmi les facteurs connus comme générateurs de stress, la perte de sens du travail et l’autonomie sont parmi les plus importants. Si on se réfère à la remarque précédente, s’en tenir au travail prescrit, et au surcroit limiter le prescrit à ce qui aurait été écrit et s’en tenir à sa fiche de poste, implique que rien ne fonctionnera. Que devient alors le sens d’un travail qui n’aboutira à rien ? L’autonomie, la capacité à exercer ses compétences protège contre le stress et à l’inverse l’impossibilité de faire ce qui fonctionne à cause d’un process contraignant est un facteur majeur de perte de sens et de stress. Croire se protéger en s’enfermant soi-même dans ce qu’on croit être « ce pourquoi on est payé » et limiter son activité à ce qui serait sur une fiche de poste, c’est se tirer une balle dans le pied.

La Démission Silencieuse ainsi conçue est donc une erreur sur tous les plans et ne peut que se retourner contre les personnes qui croiraient ainsi se protéger.

Il faut et c’est essentiel :

  • Que les salariés perçoivent une juste rémunération de leurs efforts ;
  • Que l’équilibre entre la vie personnelle et le travail soit tel qu’il n’y ait aucune atteinte à la santé des salariés par excès de travail et aucune atteinte à leur vie familiale et sociale ;
  • Que le travail soit organisé afin de ne pas être pathogène, ne soit pas source de syndrome d’épuisement, de stress prolongé et trop intense.

On est loin d’y être partout et toujours, il y a donc du travail (sic) de ce côté, et ce n’est pas en popularisant des fausses solutions toxiques, comme cette idée de Démission Silencieuse, qu’on va progresser.

Gilles Karpman - Octobre 2022