Dans le doute abstiens-toi
telecharger imprimer

 

Le syndicalisme, après s’être fait voler l’entreprise par la désindustrialisation, l’éclatement des organisations, la déstructuration des collectifs, accentué par le développement du télétravail, est-il aussi en train de se faire voler la rue ? 

Si les manifestations et défilés du 1er mai ont fait la part belle aux partis politiques et autres expressions de la contestation et ce indépendamment de la proximité des élections, présidentielles et législatives, c’est en s’appropriant un territoire largement abandonné par ceux qui avaient jusqu’alors la vocation de l’arpenter.

Ils étaient là, bien sûr, mais inaudibles, parce que sans propos, sans projet, sans vision et sans autre troupes que celles qui sont déjà conquises et accompagneront jusqu’au bout, banderole en berne, le cortège. Ce n’est plus un défilé, c’est un enterrement.

Est-ce que c’est grave Docteur ? Peut-être que non. C’est peut-être parce que les salariés n’en n’ont plus besoin, ayant soit trouvé réponse à leurs attentes, soit trouvé d’autres moyens que le syndicalisme pour les obtenir. Ou alors parce que les organisations syndicales ne leur semblent plus, en tout cas sur la base de l’offre existante, en capacité de comprendre, de représenter et de porter ces attentes ? Mais alors pourquoi, et alors que depuis 2008 toute nouvelle offre peut désormais se créer et s’afficher librement, le cas échéant en parallèle de l’offre classique des organisations historiques, ne voit-t-on toujours rien émerger de significatif ?

Notre métier nous conduit, en parallèle de l’accompagnement des entreprises, à prodiguer de nombreuses formations, pour les élus et pour leurs managers. L’évolution est frappante et en particulier depuis la mise en place des CSE et du fort renouvellement des mandats auquel il a donné lieu. Du côté des élus, prédominent aujourd’hui des salariés dont l’engagement dans les instances est et doit rester un à-côté de leur parcours professionnel et ne surtout pas avoir d’impact sur celui-ci. Participer et occasionnellement être utile, oui, mais se positionner et le cas échéant se fâcher, non. Du côté managers, c’est encore plus flagrant : l’apport sur les règles et pratiques du dialogue social et de ses acteurs étaient pendant longtemps un point clef, source de questionnement, souvent d’irritation, dont ils espéraient mieux connaître les droits et devoirs pour, sinon mieux le contrer, en tout cas moins le subir. Aujourd’hui, cela devient de plus en plus un non sujet, impactant peu le quotidien et pouvant être laissé à la gestion des fonctions dédiées, dont c’est le métier de garantir la conformité juridique des procédures.

Cette atonie du dialogue social dans les entreprises, dont les employeurs sont trop souvent tentés de considérer qu’une plus grande facilité à le gérer est le critère voire la preuve de sa grande qualité, est à l’image de la déliquescence du discours et de la place du syndicalisme au niveau national.

Sauf qu’une fois encore, nous sommes convaincus que l’accentuation du déclin syndical ne pourra réjouir que ceux qui en sont restés à ses grandes heures de mobilisation et de contestation patronale, oubliant son rôle dans les acquis sociaux qui n’existeraient pas sans lui et surtout son rôle fondamental de canalisation et d’expression collective des attentes et revendications. Les citoyens/salariés ont avec le syndicalisme ou avec les mandats électifs dans les instances, les mêmes doutes et la même posture qu’avec la politique : de plus en plus et par défaut, ils s’abstiennent. Mais jusqu’à quand et pour le remplacer par quoi s’il ne sait pas retrouver sa place et reconquérir une confiance, une crédibilité, une utilité ?

Il y a moins de tempêtes, c’est sûrement une bonne chose, surtout pour celles qui n’aspiraient à la contestation que comme fin en soi. Mais le trop calme qui les remplace n’augure rien de bon, sur la capacité du monde du travail à peser sur des choix de société intégrant ses enjeux, renvoyant les réponses à d’autres canaux, souvent loin de ses réalités.

Yves Pinaud - Juin 2022