Mission du CSE : à propos de quelques glissements progressifs

J’ai présenté dans un article récent[1] certains des apports de la Loi « Santé au Travail » et notamment une de ses dispositions visant à renforcer la concertation en matière de prévention en impliquant beaucoup plus le CSE dans l’évaluation des risques.
Je voudrais aujourd’hui rapprocher cette modification d’une autre, issue elle de la Loi « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets »[2].
Cette dernière comporte également des dispositions relatives au CSE.
Ni l’une ni l’autre n’apparait porteuse de bouleversements considérables comme l’ont été, en leurs temps, la réforme de la représentativité en 2008 ou la création des CSE en 2017.
Pourquoi en parler alors ? Parce que leur relative discrétion fait que, le flot des préoccupations quotidiennes et particulièrement en ces temps perturbés, risque de nous amener à ne pas leur accorder l’importance qu’elles pourraient avoir.
Posons d’abord les apports de ces deux Lois au rôle du CSE :
La « Loi Santé au Travail » a discrètement mais significativement modifié le rôle du CSE dans l’évaluation des risques en changeant son positionnement au sein du Code du Travail. Le rôle du CSE n’était auparavant évoqué que par les articles relatifs aux obligations d’informations et de consultations de ce comité. Désormais, la nouvelle formulation de ce rôle se trouve dans le chapitre relatif à l’évaluation des risques et pose que le rôle du CSE n’est plus, dans ce domaine, seulement consultatif. Le CSE sera un acteur de l’élaboration du DUER « dans le cadre du dialogue social dans l’entreprise, le CSE et sa CSSCT apportent leur contribution à l’évaluation des risques professionnels dans l’entreprise ».
Il s’agit donc d’une participation à l’évaluation et plus seulement d’une consultation sur une évaluation élaborée antérieurement et unilatéralement par l’employeur, même si la responsabilité finale incombe toujours à celui-ci.
La Loi « Lutte contre le dérèglement climatique » a, elle aussi opéré, un discret glissement qui pourrait bien s’avérer être la préfiguration d’une évolution notable de la mission du CSE. Celle-ci s’élargirait autour de sa mission principale (permettre la prise en compte des intérêts de salariés dans les décisions de l’employeur) vers une mission de vigie, voire de lanceur d’alerte pour la protection de l’environnement, thème qui peut inclure mais aussi largement dépasser celui des intérêts particuliers des salariés de l’entreprise.
En effet la nouvelle rédaction de l’article L. 2312-8 CT élargit la mission générale du CSE. La prise en compte des intérêts des salariés doit maintenant se faire "notamment au regard des conséquences environnementales de ces décisions".
Du côté employeur cela signifie que chaque projet présenté en consultation devra être accompagné d’une évaluation des risques induits pour l’environnement.
Les entreprises feraient donc bien de s’en soucier, car à défaut il pourrait bien se faire que certains projets se trouvent retardés[3].
En rapprochant ces deux modifications, nous constatons que le CSE va voir son rôle évoluer dans deux directions :
- Sa mission conçue au départ comme purement consultative évolue vers plus de concertation ;
- Sa mission conçue au départ autour de la défense des intérêts des salariés évolue vers plus d’ouverture à la défense d’intérêts plus vastes que ceux des salariés de leur entreprise.
La Loi a d’ailleurs prévu :
- L’extension des possibilités d’expertise du CSE aux thèmes de l’impact environnemental des projets ;
- La formation des élus au thème de l’environnement ;
- La transformation de la BDES devient BDESE : Base de Données Économiques, Sociales et Environnementales
De simples petits glissements sans importance ? L’avenir le dira mais il serait imprudent de ne pas s’y préparer côté employeurs comme côté élus.
Gilles Karpman - Décembre 2021
[1] https://www.ideeconsultants.fr/publications/168-loi-sante-au-travail
[2] Loi no 2021-1104 du 22 août 2021
[3] C’est ce qui c’était produit avec le thème des risques pour la santé et la sécurité des salariés lorsque certaines entreprises avaient eu la surprise de voir les tribunaux leur interdire la mise en œuvre d’un projet pour absence d’évaluation des risques associés.